Les larmes de Marysa.
ce vendredi matin.
Quelques élèves avaient chuchoté:
"Maîtresse, Marysa pleure".
La maîtresse aime ce manque d'indifférence.
Elle aime la confiance qu'ils lui accordent.
Marysa dit qu'elle voulait être toute seule
"Au fond de la classe."
La maîtresse n'était pas d'accord
mais, dans sa course après le complément du nom et les additions de fractions,
elle eut juste un sourire pour la petite éplorée :
" On en reparlera plus tard dans la journée, Marysa. Là on travaille."
À la récréation de 10h, la maîtresse se rendit compte
qu'un enfant se trouvait sous une table :
En se penchant, elle découvrit Marysa
qui s'était cachée pour pleurer.
La maîtresse la questionna :
Marysa réitéra son discours. Un discours plein de sanglots.
Alors la maîtresse se souvint. D'avant. Quand elle se sentait, elle aussi,barque à la dérive,
s'éloignant irrépressiblement des terres amicales. Seule et abandonnée.
La même tristesse en boucle.
La maîtresse sentit, qu'avec Marysa, elle devrait se dévoiler,
laisser parler en elle la voix de son grand manitou parisien.
Elle a fait des études de psycho (théorie, théorie quand tu nous tiens)
elle a beaucoup lu (des mots qu'on se croit destinés)
mais elle a surtout beaucoup parlé. Parlé à celui qui écoute dans son cabinet parisien.
Lui, il s´est adressé à l'enfant qui se cachait en elle, l'enfant qu'elle avait été.
Une éternité avait été nécessaire pour qu'elle accepte de regarder cet enfant triste .
Et puis elle l'a pris sur ses genoux, elle l'a consolé, elle l'a câliné .
l'enfant a parlé de son chagrin et le savant a expliqué.
La fillette qu'elle avait été a aussi parlé de sa colère, de ses exigences, elle revendiquait
petit terroriste hypothéquant sa vie d'adute à elle.
La maîtresse sait que ce chagrin, si chagrin il apparaît , est aussi une manière
de retourner contre soi sa colère. Parce qu'on se l'interdit. Parce que la société l'interdit.
Elle ne prendra pas de chagrin Marysa pour argent comptant.
Tout comme lui ne l'avait pas fait,
elle doit regarder s'il ne s'y cache pas une arme retournée contre soi-même.
Alors la maîtresse a tenté de retracer les évènements de la matinée:
Marysa dit, tout en pleurant, qu'il ne s'était rien passé.
Sa voisine précise:
" Je lui ai demandé si ça ne la dérangeait pas d'échanger de place avec Clémentine."
Voilà donc Marysa expulsé de sa place!
" Alors tu as pensé qu'Hélène ne t'aimait plus ?"
Marysa Hoche de ta tête.
" Mais , tu sais Marysa, c'est pas vrai ça, précise Hélène.
Je t'aime bien . C'est jusque qu'Aurélie et moi on avait envie d'être à côté de Clémentine."
La maîtresse continua :
" Tu comprends, Marysa?
Et peut-être que tu t'es dis pour la peine tu n'aimeras plus personne?
Parce que ça fait de la peine quand on aime?
Peut-être que tu étais en colère ?
Tu sais Marysa, on a le droit d'être en colère, d'être fâché.
On peux le dire qu'on est fâché.
Le dire poliment.
Pas comme Lia.
Tu sais, parfois, il ya un dragon en nous qui crache de la colère."
Hélène interrompit la maîtresse :
"Oui ça me rappelle un dessin animé avec un dragon à cinq queues
- Oui, surenchérit Marysa."
Durant la journée nous dûmes essuyer les flammes du dragon de Marysa.
La maîtresse dut lui rappeler qu'un dragon devait être apprivoisé.
Pour parler de colère calmement,
sans violence.