Alban écrit de nouveaux poèmes:
un premier sur les fleurs signé Alban Fleuri
un deuxième signé Alban Carême.
Alban, le poète exubérant rit.
Il en promet un autre qu'il signera Alban Révolver.
La maîtresse acquiesce :
"Oui Alban, la colère ça s'écrit et ça se met en rimes.
J'attendrai avec impatience!"
Alban annonce la couleur : ce poème fera au moins 6 pages.
Alban a écrit une fable, un pastiche,
au vocabulaire recherché, à la trame impécable.
Adrian Maganza
Elouan a compté
parmi les nombreux voisins d'Alban
et il a rapidement exigé un changement de place.
Elouan l'indiscipliné qui a tant de difficultés
à se mettre au travail
Elouan qui dort ou Elouan qui s'agite et bavarde,
le cahier baillant d'ennui sur la table.
Elouan qui a deux petits frères
ne supporte pas la proximité d'Alban.
Alban a écrit une fable, un pastiche,
au vocabulaire recherché, à la trame impécable
et il la lit à ses camarades.
Elouan réclame une 3ème lecture.
La maîtresse, stupéfaite, questionne:
"Tu aimes la fable d'Alban?"
Elouan secoue énergique la tête
dessinant un grand "oui" accompagné d'un sourire.
Ce matin, au-dessus de la grammaire,
Eric révèle à la maîtresse que son papa est de nouveau à l'hôpital.
A 16h30, la maman attend la maîtresse à la grille :
le papa d'Eric vient de mourrir.
il y a une dizaine de jours cette maman perdait elle-même son père .
La maîtresse aurait pu la prendre dans ses bras.
Elle a dit:
"Occupez-vous de vos garçons, occupez- vous de vous.
A l'école je prendrai soin d'Eric "
Pas de notes, dans sa classe mais des compétences à acquérir.
Pas de compétion, énergie parfois vivifiante et d'autres fois destructrice.
Ce matin la maîtresse a apporté un jeu mathématique .
Elle a demandé aux élèves la tenue d'une fiche
pour noter les scores tout au long de l'année.
Démarrage en équipe, on gagne ou on perd ensemble.
Faut réfléchir ensemble.
La maîtresse va devoir organiser sa classe en ateliers autour des jeux,
timidement introduits dans la classe en fin d'année dernière.
Certes , elle débute en jeux à enjeux mais
elle se souvient du fonctionnement en maternelle.
Ce matin la maîtresse a vu la compétion naître ailleurs que sur les notes.
Une équipe de fille contre un équipe de garçon.
L'un des garçons condamné à l'exil temporaire
pour cause de joie bruyante, le deuxième déclare forfait.
Bein oui! Ce gros paresseux ignorait
les règles d'un jeu que l'autre seul maîtrisait.
Un autre groupe de 2 équipes de filles
s'affrontent avec jubilation.
On se menace d'un sourire,
on pose une carte
puis deux, une erreur, un doute. On argumente,
on appelle la maîtresse, essais au tableau, avis demandés.
Après deux partie on inscrit les scores.
Une revanche est programmée.
Les adversaires n'ont qu'à bien se tenir.
Aujourd'hui la classse est montée à 32!
Entre les collègues capitulant devant les micobes,
la valse des classes devant le R.A.S.E.D., ça fait 32 élèves en tout.
Sans compter le fils de la maîtresse sans maîtresse,
qui s'entête à l'appeler "maman " et,
dans la désobéissance passive, son habitude domestique,
fait du bruit, perd sa feuille de mathématiques, l'interrompt .
Quelques photocopies pour occuper les neurones de nos invités.
Et puis, face à leur désoeuvrement de l'après-midi la maîtresse propose ses petits carnets
pour "écrire des histoires, des souvenirs de vacances , des secrets..."
La maîtresse n'aurait jamais imaginé la suite de la journée : 
Alors qu'elle propose quelques minutes d'écoute
pour les écrits en liberté de ses élèves,
devant le silence des cocos, qui écrivent, écrivent
dans leur carnet mais
n'osent pas encore prendre la parole,
Ludovic, un des invités, timidement, lève le doigt.
Et là! Miracle! La maîtresse est envoûtée :
Des histoires courtes et denses emplissent la classe,
ses élèves écoutent, les yeux ronds.
Oui! Janelle adore. La maîtresse la soupçonne
de vouloir plaire mais Janelle argumente:
elle aime, dans l'histoire, les matériaux utilisés
par l'oiseau pour construire son nid,
"des pierres de Lune, du nuage léger".
Oui Janelle a perçu la poésie du texte.
Ludovic est un poète...
S'en suit, le récit d'un "message plein de soupirs",
écrit par un prince
dans l'attente de sa princesse,
un message qui "voyage
par dessus les monts et les mers"
pour , finalement,
se poser dans la chambre d'une princesse.
Ludovic est un conteur.
Puis l'histoire d'un indien qui veut grandir et qui doit passer des épreuves.
Finalement le chef lui donne la main de sa fille.
La maîtresse s'extasie mais précise que
le chef indien aurait pu s'enquérir de l'avis de sa fille.
Ludovic est un philisophe qui pose des questions existencielles...
Et puis devant le plaisir de la maîtresse (?) ,
l'émulation faisant frisonner les habitants de la classe (?)
quelques élèves promettent une histoire. deux copines écrivent rapidement un début .
"Jouée ou lue?" . . . jouée répondent les deux grandes timides.
Une autre rappelle avoir déposé ce matin le texte dans le casier à textes.
La mayonnaise serait-elle en train de prendre?
Tous les lundi c'est numération.
La maîtresse aborde aujourd'hui une nouvelle notion.
Enfin...nouvelle notion de CM1.
Le travail entamé, les dessins tracés,
les rappels énoncés avec les élèves,
la notion est nommée : "les prochaines semaines nous allons travailler...
- LES FRACTIONS" continue Clémentine, les yeux plein d'effroi .
La maîtresse a vu en Clémentine comme dans un miroir :
Elle, desemparée face aux math, a dû retrousser ses manches
pour passer ce fichu concours d'instit.
Ses petits chats sont une résurgence
de la lecture des sujets de concours.
Dans ces salles immenses sans intimité pour pleurer!
Oui les fractions... douloureux souvenir!
Et puis la maîtresse , une fois devenue maîtresse, maîtrisant un peu mieux
son latin et ses nombres, réfléchit, pompe dans les manuels
les entrées les moins fracassantes.
L'an passé, lorsqu'elle aborda les fractions elle remarqua les regards interloqués,
les figures embarrassées, les yeux ronds de poisson koï.
Alors elle eut une illumination :
" Bon on dit que ce sont des malabars....1/2 malabars....6/2 de malabars"
Et là elle entendit une vague de "AAAAAAAH!!!" signe de connexion ultarapide in cortex.
Et puis en abordant les fractions décimales :
"on dit que ce sont des tablettes de choclat de 10 carrés ".
Certains chipotent:
"Moi j'aime pas le chocolat!
- Et le chocolat blanc?"
Et puis tout doucement elle avance dans sa programmation, tentant de soutenir
la compréhension des élèves fragiles, alimentant en quelques exercices plus pointus
les élèves rapides, s'éloignant du contexte malabar, carambar ou chocolat
pour accéder aux nombres seuls, vers un contexte moins gourmand.
Alban est un enfant sensible, volubile, un peu farceur. Il sent que sa maîtresse le protège
des attaques du poisson combattant.
Mais en 15 jours il a changé de place 6 ou 7 fois. Il se passe quelque chose.
La maîtresse partage avec lui ses doutes: ça ne vient pas que des autres.
Elle esquisse quelques mots à la maman ce vendredi soir et
elles se donnent rendez-vous à la fin de la réunion parents-professeur.
La maman est désemparée :
son enfant, précoce,
a de grandes difficultés à s'intégrer.
La classe verte de l'an passé
fut périlleuse et
la colonie de vacances de cet été
un désastre: elle a retrouvé son fils
en larmes.
La maîtresse ne peut pas regarder
tous ses élèves en même temps,
elle fait des roulements et
pendant quelques semaines
elle va observer,
accompagner 3, 4 ou 5 enfants.
C'est en fonction des difficultés qui émergent.
Sa priorité du moment ce sera Alban. Et Louis, le poisson combattant.
Elle explique à la maman qu'elle ne connaît pas les enfants précoces
mais qu'elle n'a jamais eu d'enfant exclu dans sa classe.
http://journaldeclasse1.canalblog.com/archives/2012/04/01/23910279.html
La maîtresse et la maman d'Alban partagent leurs doutes sur le collège,
La maman sourit à l'idée que son fils puisse être apaisé durant toute une année....
Elle aura le coeur tranquille en partant le matin.
La maîtresse a tenté le comptage des présents en anglais:
Les élèves en perdent leur latin
et rebelotte on recommence.
Certains comiques font des voix drôlatiques
et la pauvre maîtresse se chope un fou rire.
Elle voit bien
dans certains regard furtifs
l'étonnement de voir
l'adulte sortir de son sérieux.
Elle sait que
son attitude iconoclaste
peut provoquer un débordement ponctuel de ses élèves.
Elle se résigne,
elle n'aura jamais
d'élèves sagement assis ,
elle accepte de devoir
revenir avec certains
sur les débordements
de ceux qui ont du mal à se cadrer,
elle aura toujours des flottements entre deux activités.
L'exigence incontournable c'est le silence absolu
durant le travail, acceptant quelques chuchotements
autour de certaines activités.
La maîtresse fait le deuil d'une classe
d'enfants sages comme des images,
elle a besoin de ces rires. Les leurs. Les siens
c'est ce qui rend ses journées ensoleillées!
Qui peut se targuer d'un rire quotidien ?
Les retours au calme sont des moments incoutournables
depuis que la maîtresse a décidé de ne plus être
dans la maîtrise des petits êtres qui peuplent sa classe.
Marysa , c'est la soeur d'Isaac.
Il y a deux ans....
...Les élèves s'apprêtaient à quitter la salle informatique et
la maîtresse leur tournait le dos le temps
de poser la main sur la poignée de la porte.
Isaac , un élève parfois violent et récalcitrant ,
profita 
de cet instant
pour lancer son poing
sur le nez de Yannick.
Elle s'interposa
illico presto
et tenta de calmer les esprits.
Sur le temps de la récréations
la maîtresse demanda des explications au frondeur:
"Il a pas le droit, pour enregistrer son texte
il a écrit" Yannick the boss", il a pas le droit d'écrire ça! "
La maîtresse avait bien repéré
que les élèves laissaient libre court à leur imagination
pour nommer les dossiers .
Elle avait bien repéré ce que Yannick et son voisin Kalhil avaient écrit.
Elle avait bien entendu le groupe de garçon pouffer
mais elle n'y voyait pas d'objection.
La maîtresse connaît bien
la maman de Yannick et
elle sait que, quand il est avec sa maman,
"Yannick se sent un peu comme le boss!
N'est-ce pas,Yannick?"
Yannick acquiesça
avec son sourire de gros bébé-chérit-par-sa-maman.
Isaac accepta l'idée et profèra de vagues excuses.
Cette année Marysa compte parmi ses élèves.
Marysa lui raconta dès les 3ème jour combien elle était fâchée
contre sa maîtresse de l'an passé
qui lui arrachait des pages de son cahier,
lui jetait l'agenda à la figure ou ses feutres dans la poubelle,
qui lui criait dessus.
Marysa lui rapporta cette colère:
"J'avais décidé
de faire n'importe quoi .
- Et qu'as-tu fait?
- Je ne rangeais pas mon casier,
je faisais le travail de travers!"
La maîtresse rassura la miss ,
ça sera différent cette année.
Cette collègue
c'est la copine de la vilaine.
Cette collègue c'est celle
qui lui avait hurlé à la figure, à elle l'instit
cette collègue qui avait fondu sur elle
dans la cour au milieu des élèves
tel un rapace se jetant sur un pigeon.
Mais la maîtresse se souvient, à la réunion de vendredi , des parents réjouis
de l'accueil réservé à leur enfant cette année.
Cette année, contrairement à l'an passé.
